Vers 7-8 ans, beaucoup d’enfants aimeraient que leurs parents leur fassent confiance et leur laissent plus de liberté. Mais comment accepter dans un monde qui nous semble plus dangereux qu’autrefois ? La rédaction d’Astrapi vous propose, pour en parler en famille, une BD et le témoignage de cinq lecteurs, commentés par Isabelle Filliozat, psychothérapeute et écrivaine.
Notre monde est bien moins dangereux qu’autrefois, comment expliquer que nous nous inquiétions bien plus ?
Le témoignage d’Émeline, 8 ans : “J’ai le droit d’aller acheter le pain toute seule. Mais pour aller à l’école, c’est un de mes parents qui m’accompagne. Il y a une grande rue à traverser et ils ont peur que j’aie un accident…”
Isabelle Filliozat : La peur n’est pas rationnelle, elle n’a souvent rien à voir avec la réalité du danger. On a plus d’appréhension en avion qu’en voiture, alors que le risque d’avoir un accident de voiture est bien plus grand que celui de périr dans un crash aérien, c’est prouvé ! Pourquoi ? Parce que dans un avion, on ne contrôle rien, alors qu’au volant de notre voiture, on a l’illusion de maîtriser. Avec les enfants, c’est un peu pareil : moins les parents les contrôlent plus ils ont peur. Or, aujourd’hui, les parents ont le sentiment de manquer de contrôle, y compris sur leur propre vie. Les médias relaient des événements sur lesquels nous n’avons aucune prise (crise financière, attentats, faits divers, etc.) On lutte contre cela en renforçant notre contrôle.
Nous faisions des choses que nous n’autorisons pas à nos enfants… Pourquoi leur périmètre de liberté est-il beaucoup plus réduit que le nôtre à leur âge ?
I. F. : C’est vrai ! Nos parents à nous vivaient moins de stress. Mais la société dans son ensemble était moins sous tension, et (presque) tous les parents agissaient ainsi. Il y a aussi une dimension culturelle dans l’attitude parentale. L’influence sociale joue : aujourd’hui, si vous laissez un enfant de 6 ans revenir seul de l’école, on vous regarde de travers. Cette inquiétude généralisée est un gros problème pour les enfants. Car plus l’enfant apprend à être responsable et autonome, moins il court de danger. Plus nous le protégeons, plus nous le mettons en risque. Et le jour où, pour une raison ou une autre, nous ne sommes pas disponibles pour l’accompagner, il ne sera pas préparé à l’autonomie et c’est là qu’un accident peut survenir.
Certains enfants sont de vraies têtes en l’air ! Comment leur faire confiance ?
I. F. : Il y a une différence entre accompagner un enfant dans la rue et lui enseigner à s’y comporter. Plus nous sommes là, moins l’enfant va apprendre à traverser. Car le cerveau est paresseux. S’il sait que quelqu’un d’autre est attentif aux dangers, il ne se met pas en situation de l’être. L’enfant est inattentif parce qu’il se sait sous contrôle. Un enfant seul change de comportement du tout au tout ! Attention quand même : certains facteurs aggravent la distraction. Mieux vaut ne pas traverser la rue juste après avoir joué à un jeu vidéo ou regardé la télé !
Répéter les consignes, est-ce efficace ?
Le témoignage de Chloé, 9 ans : “Je vais à l’école toute seule. Tous les jours, ma mère me dit les mêmes choses : faire attention en traversant, ne pas parler à des inconnus, ne pas caresser les chiens… Ça m’énerve d’être prise pour un bébé ! ”
I. F. : La répétition efface la consigne ! En plus, le cerveau d’un enfant n’est pas en mesure d’enregistrer autant d’informations à la fois. Par ailleurs, et Chloé le dit très bien, cela donne à l’enfant le sentiment qu’il n’est pas assez grand. Et justement, pour montrer qu’il n’est plus un bébé, il peut se mettre à prendre des risques, à braver les consignes.
Il faut tâcher de lui enseigner à réagir dans différentes situations. On peut lui demander avant qu’il parte : “A quoi vas-tu faire attention ?” Et c’est l’enfant lui-même qui va prononcer les consignes. Là, il se sent grand, il se sent fort. La mise en garde “Tu ne parles pas aux inconnus” est stupide ! C’est une consigne de peur qui augmente le danger. Au contraire, il faut parler ! Pour prévenir l’enfant de ces types de dangers, les jeux de rôles sont très pertinents : “Je fais l’inconnu, tu fais l’enfant. Puis on inverse.” Ainsi, l’enfant va développer une dizaine de solutions face à une situation de danger. Nous sommes des êtres humains : nous devons travailler avec notre tête !
Comment se faire une idée juste de ce que peut faire son enfant ?
Le témoignage de Lucie, 11 ans : “Mes parents sont souvent inquiets quand je veux faire un truc toute seule… C’est normal, ils ne se rendent pas compte que j’ai grandi… il faut leur laisser le temps de le réaliser !”
Isabelle Filliozat : Lucie a tout compris. Les parents sont toujours en décalage, c’est inhérent au statut de parent. Par moments, ils vont exiger trop d’un enfant, parfois ils vont le surprotéger. L’aîné est souvent considéré comme plus grand qu’il n’est et le petit dernier comme plus petit. Impossible de leur donner des repères : chaque enfant est différent, même dans une fratrie ! La relation entre un parent et un enfant est donc un ajustement permanent. Il faut l’observer, le faire parler. Souvent, les conflits aident à avancer. L’enfant s’écrie : “J’en ai marre que tu ne me fasses pas confiance !”, et cela fait réfléchir les adultes. C’est important pour les parents de discuter avec d’autres parents (il existe des groupes de parents) : cela permet de mettre en perspective les problèmes rencontrés et les solutions adoptées.
Comment raisonner des parents aussi angoissés ?
Le témoignage de Victor, 10 ans : “Mes parents ont toujours peur qu’il m’arrive des problèmes : quand je suis dans la rue, ils imaginent un accident, quand je fais de la cuisine, ils pensent que je vais me brûler, quand je pars, il faut que je leur téléphone pour leur dire que tout va bien !”
Isabelle Filliozat : Impossible de les “raisonner”, car leur angoisse est irrationnelle. Je me questionnerais plutôt sur la qualité du lien tissé avec leur fils. Peut-être sont-ils très peu disponibles, souvent absents, et en conçoivent de la culpabilité. Contrôler l’emploi du temps de leur fils en se servant du téléphone comme d’un fil à la patte, s’inquiéter pour tous ses actes, c’est peut-être une façon – maladroite – de dire : “Tu me manques”, “J’aimerais passer plus de temps avec toi”. Ce serait tellement mieux de le lui dire ainsi !
Se faire du souci est important. Mais il faut se faire du souci positivement : plus on va améliorer la relation, plus on va remplir le réservoir d’amour et donner à sentir fortement le lien qui nous unit, en faisant des choses ensemble, en se parlant, moins on aura le désir de tout contrôler.
Peut-on ne pas être assez inquiet pour son enfant ?
Le témoignage de Gabin, 10 ans : Moi, mes parents ne sont pas du tout inquiets… sauf pour mes notes ! Pourtant, parfois, j’aimerais bien qu’ils s’occupent un peu plus de moi !
Isabelle Filliozat : Gabin ne demande pas plus de contrôle mais plus d’attention. Il aimerait que ses parents soient plus attentifs à lui. Non pas aux dangers de la vie quotidienne, mais à ce qu’il ressent, à ce qu’il se passe dans son cœur. Il a raison ! Nous devrions nous inquiéter davantage de l’intérieur que des dangers extérieurs ! Se préoccuper de ce que son enfant ressent, c’est s’inquiéter de manière juste. Si la mère de Chloé lui disait : “Tu trouves que je te prends pour un bébé, n’est-ce pas ?”, Chloé percevrait cette attention. Se sentir aimé, sentir que l’autre se soucie de soi, cela donne de la solidité intérieure. Et du coup, on est aussi plus disponible pour se protéger et être attentif à soi-même.